La pop culture turque, un enjeu national

Posted on 19 février 2011

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Au cinéma et à la télévision, deux productions turques ont récemment fait polémique. Dans une Turquie marquée un nationalisme exacerbé, la culture se doit de servir le pays. Ou du moins, ne pas le trahir.

Un « Rambo turc » en Palestine

Premier objet d’effarement, qui a trouvé quelques échos dans la presse française, le film Vallée des Loups – Palestine, adapté d’une série télévisée à grand succès. Il revient sans détour sur l’assaut lancé en mai dernier par la marine israélienne contre le ferry « Mavi Marmara », affrété par une ONG turque au sein d ‘une flottille humanitaire à destination de Gaza . Neuf Turcs avaient péri dans l’opération. C’est donc sur grand écran que les comptes se rendent. Le film met en scène un « Rambo turc »,  Polat Alemdar, investi d’une seule mission : tuer le commandant israélien responsable de l’assaut. A la tête d’une unité spéciale turque, il décime tout un régiment israélien. Et précise au passage : « je ne suis pas venu en Israël, mais en Palestine ».

Le film n’hésite pas à dépeindre un médecin juif trafiquant d’organes, des militaires israéliens pratiquant la torture et tuant des enfants… Le message, clairement antisioniste, a suscité l’indignation de l’ambassadeur israélien d’Ankara, qui a déploré les « connotations antisémites » du film, face à des autorités turques gênées invoquant la liberté d’expression. Vallée des Loups –  Palestine est à l’affiche dans une vingtaine de pays de la région, et notamment du monde arabe, où il trouvera son public. Il est également projeté en Allemagne, interdit aux moins de 18 ans.

La bande-annonce sous-titrée :

Outil de propagande majeur, le cinéma turc façon « blockbuster exportable » monte en puissance, même s’il ne doit pas occulter une renaissance globale du cinéma turc, y compris celui qui questionne intelligemment l’identité turque.

Le Sultan Soliman et son harem

Alors que la Vallée des Loups n’a quasiment pas fait de vagues parmi la population, un autre objet culturel turc a défrayé la chronique en janvier à l’intérieur des frontières. Une série télévisée à gros budget met en scène Soliman le Magnifique, sultan qui a fait de l’empire Ottoman une puissance mondiale. « Muhteşem Yüzyıl » (« Le siècle magnifique ») casse le mythe du héros national, le montrant plus occupé par son harem que par la conquête armée, et ne refusant jamais un bon verre de vin. Evidemment, pour une série télévisée, il est moins couteux et plus feuilletonnant de s’intéresser à la vie du palais qu’aux batailles grandioses.

Toujours est-il qu’après la diffusion de la première bande-annonce, le CSA turc a reçu plus de 70 000 appels demandant l’annulation de la série, soit plus d’appels qu’en une année entière. Les hommes politiques, vice-premier ministre en tête, n’ont pas été en reste dans la dénonciation de ce crime de lèse-majesté. Pour sa défense, le scénariste de la série à rétorqué : «Que croyez-vous, que les enfants du sultan ont été crées par pollinisation ? ».

A regarder de plus près la série il n’y a rien de bien choquant pour des yeux occidentaux, on est loin des « Tudors ». Au-delà des mœurs conservatrices d’une grande partie de la société turque, « c’est bien parce que l’imaginaire national est attaqué que les Turcs sont choqués », reconnaît une téléspectatrice blasée par la polémique. Dans une Turquie qui s’affirme toujours plus comme une puissance économique et diplomatique, on ne plaisante pas avec la fierté nationale.

La bande-annonce :

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